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II. Les deux visages : subversif et conformiste

Publié par Adrien Mathilde Jimmy Tomàs

Le 18 mai 2006, le rappeur américain Nas présente son nouvel album sur la radio Tim Westwood et déclare : "Le Hip Hop est mort parce que, nous, les artistes n'avons plus le pouvoir. (...) Pourriez-vous imaginer ce que 50 Cent serait sans Eminem ou Dr. Dre ? (...) Quand je dit que le Hip Hop est mort, c'est la musique qui est morte, notre manière de penser est morte, notre commerce est mort..." Cette déclaration a l'effet d'une bombe aux Etats-Unis et lorsque le single "Hip Hop is Dead" sort en novembre, la communauté du rap va imédiatement réagir, la plupart des rappeurs old school étant bel et bien de l'avis de Nas.

Mais avant de juger tout cela voyons les arguments avancés dans le morceau :

-"I'll put an extended clip and body them all day
  Roll to every station, wreck the DJ" 
Nas accuse les DJ d'avoir trop d'influence néfaste en répétant de manière anaphorique : "Message à toutes les stations, tuez les DJ."

-"What influenced my raps? Stick-ups and killings

  Kidnappings, project buildings, drug dealings

  Criticize that, why is that?
  Cause Nas rap is compared to legitimized crap
  Cause we love to talk on nasty chickens
  Most intellectuals will only half listen" 
Ici il critique avec ironie la mode du gangsterisme et le manque de profondeur des textes avec une question rhétorique idiote et un raisonnement fallacieux.

-"So you can't blame jazz musicians

  Or David Stern with his NBA fashion issues" Là, Nas fait référence aux lois qui ont empêché les samples ou le fait d'afficher des signes d'appartenance au hip hop, tuant son identité.

-"Everybody sound the same, commercialize the game
Reminiscing when it wasn't all business" 
En dernier argument de poids, la critique des morceaux qui se ressemblent tous et qui n'ont qu'un but : vendre.

Ce single exprime donc ce que beaucoup de nostalgiques pensent tout bas : le rap s'est uniformisé, n'a plus de relief et est gangrené par des producteurs/DJ motivés uniquement par l'argent. Mais est-ce seulement de la nostalgie ou une réalité concrète ? 

II. Les deux visages : subversif et conformiste

A) Quel rap a du succès aujourd'hui ?

Prenons la France, un des pays les plus prolifiques du marché du rap derrière les Etast-Unis et l'Angleterre mais dominant le reste de l'Europe avec l'Allemagne. Les plus grosses ventes de disques hip hop sont systématiquement faites par Booba depuis 2012 avec l'album "Futur", disque de platine. Cet artiste est la référence du rap grand public français actuel. Ses morceaux les plus populaires ? "A.C Milan""Scarface""Caramel" ou "Turfu", des égotrips considérés comme hardcores qui choquent les médias français. Comparons avec LE groupe hardcore (grand public encore une fois, nous comparons les succès commerciaux) de l'âge d'or du rap français, NTM. L'album "Suprême NTM" est acheté 40 000 fois le jour de sa sortie en 1998, un record absolu qui tient encore aujourd'hui. Des morceaux comme "Saint-Saint-Denis Style" "Ma Benz" ou "That's My People"  sont considérés comme de grands classiques du rap français. Des beats variés, des changement de rythmes, des clips tous différents, de nombreux thèmes, aucun vocodeur, tout cela combiné avec une vraie plume et une implication palpable. Du bien meilleur rap en somme :

Caramel : J'ai fait un rêve, beaucoup de raclis #KoppMartinLutherKing       
Tu l'as dans ton pe-cli, je l'ai dans mon parking
Sans caramel je fous quoi ?
J'suis à la barre, j'suis coupable
Tu lâches ton number ou quoi ? Hein ?!
Tu veux baiser ou pas ?
Ma-ma-mafé, tiéboudiéne plus du ment-pi
Little Haïti j'mange du lambi
Larmes de Jack au sol pour mes soces morts
Leur coeur bat dans mes ceaux-mor
D.E.M.O.N, je vis la nuit
J'n'ai que des frères j'n'ai pas d'amis
Brazza soldat 92i
Heureux malheureux je pense à lui
Je pense à lui
Je pense à Daouda, Harouna, je pense à Will
Dans les rues du 92 izi, musique à fond je pense à kill

That's My People: À part fumer des spliffs, mon premier kiff, c'est de "chiller" 
Rester tranquille au sein des miens, me laisser aller 
À déballer des conneries, parler juste pour parler 
Refaire le monde avec notre vision décalée 
On est des fous bloqués dans des cages d'escaliers 
Pris en otages par le nombre élevé de paliers 
Et à la longue, mec, j't'assure, tout, ça, ça pèse 
96, je vois toujours des braises allumées 
Dans les yeux fatigués des gosses du quartier 
"Pass pass le Mic" que je développe mes idées contaminées 
C'est vrai j'suis miné mais déterminé 
À ne jamais vraiment lâcher l'affaire 
Qu'est-ce tu peux faire ? 
J'suis pas là pour prendre des coups, ou bien même pour me taire 
Si le FN brandit sa flamme, j'suis là pour l'éteindre, c'est clair ! 
Pas d'éclair de génie juste un lyric qui jaillit 
De mon esprit, dédicassé à mon posse 

 A une certaine époque, Booba se faisait incarcéré pour braquage , aujourd'hui il vit a Miami et roule en Lamborghini . C'est cet emblème évoquant l'évolution du rap dans la société qui permet d'analyser le paradoxe qu'on perçoit dans les rappeurs d'aujourd'hui . On dit souvent du rap que c'est une musique anti-conformiste, mais n'est ce pas une allure conformiste que de revendiquer toute sa fortune dans sa musique? Aujourd'hui les grandes figures du rap sont victimes de leurs succès, et les soi-disant gangsta rappeur ne sont rien d'autre que le reflet de l'aspect commercial et conforme du rap "game"

Le rap de Booba représente exactement ce que les gens qui n'aiment pas/plus le rap dénoncent, les femmes y sont maltraitées, on fait l'apologie des grosses voitures, de la drogue et de l'argent, tout cela sans aucun réel fond. NTM savait aussi le faire comme le démontre "Ma Benz", mais ce groupe avait aussi comme mission de dénoncer le malaise des banlieues et cela se retrouvait bien dans les morceaux "Laisse pas trainer ton fils", ou "Pose ton gun", on reproche finalement à Booba son manque de profondeur.

Mais mise à part Booba, qui sont les autres grands rappeurs français ? A l'époque de NTM, nous avions Iam et l'album "L'école du Micro d'argent", Doc Gyneco et l'album "Première consultation", MC Solaar avec son second album "Prose combat", Ministère A.M.E.R et l'abum "95200" , Ideal J et son "Le combat continue", Oxmo Puccino et "Opéra Puccino", Arsenik avec "Quelques gouttes suffisent" etc... les plus grands artistes de l'histoire du rap français. Aujourd'hui, pour concurrencer Booba, nous avons la Sexion d'Assault avec "L'appogé", Orelsan et son "Chant des sirènes", Youssoupha et l'album "Noir désir", La Fouine avec "Mes repères", Kaaris et l'album "Or noir", Guizmo, 1995, ou bien Jul : beaucoup de rap hardcore, du rap plus fun et du rap conscient. Les mêmes catégories qu'il y a 10 ans, juste un peu plus de "gangsta" rap.

II. Les deux visages : subversif et conformiste

Aux Etats-Unis, les rappeurs sont des stars interplanètaires, chaque artiste à son label et ses propres marques qui leur rapportent des millions de dollars. Leur influence n'est en rien comparable aux autres rapppeurs d'autres pays. Un des plus gros vendeurs, JayZ a même lancé son dernière album "Magna Carta...Holy Grail" en collaboration avec Samsung, une multinationale. Le style le plus représenté ? Une nouvelle fois le gangsta rap ou du rap festif, exactement comme en France. Par exemple Schoolboy Q a vendu son album "Oxymoron" à 353 000 exemplaires, on y trouve des titres comme "Man Of The Year""Hell Of A Night" ou "Gangsta". Ils parlent tous de fêtes, de drogue et de "bitches". Sinon ? Wiz Khalifa avec "No Sleep"pour son single le plus connu, ou "We Dem Boyz" et "Ass Drop" de son dernier album "Blacc Hollywood". Du rap festif et divertissant qui parle de filles et de drogues. On peut aussi prendre comme exemple J.Cole avec ses titres "Wet Dreamz", qui parlent de la perte de la virginité de ce dernier ou bien l'égotrip G.O.M.D de l'album "2014 Forest Hills Drive", l'artiste Young Jeezy avec son album "Seen It All: The Autobiography" et les morceaux "What You Say", un ode à la cocaïne, ou "Beez Like", qui raconte sa jeunesse; et même Rick Ross et son dernier album "Hood Billionaire" sur lequel figure le morceau éponyme ou "If They Knew". Vous l'aurez compris, le rap étatsunien comporte beaucoup de sons similaires, ils sont très bons pour la fête ou se détendre au même titre que des sons de rock ou d'R'n'B moderne, mais une fois terminés, il ne nous en reste pas grand chose. Le rap conscient à totalement disparu du rap grand public qui ne sert plus qu'à ambiancer nos soirées et enrichir ses pratiquants.

II. Les deux visages : subversif et conformiste

B) Le rap est-il réellement contestataire à l'origine ?

On l'a dit, le hip-hop est né dans les block parties des années 70. Des fêtes organisées pour échapper à la réalité des ghettos, pour s'amuser. Ce n'est qu'en 82 avec le morceau "The Messenger" du Grand Master Flash que le hip-hop commence à se politiser, les critiques deviennent virulentes avec l'arrivée de Public Ennemy et son album "Yo! Bum Rush the Show" de 1987  et surtout celui de 1988, "It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back", sur lequel figurent les morceaux "Don't Believe The Hype" qui critque l'image que les médias donnent au groupe, ou "Black Steel in a Hour of Chaos" qui critique la convocation militaire ou encore "Rebel Whithout a Pause". Ce groupe va sortir énormément de titres contestaires du même genre et va inspirer, au même titre que la Zulu Nation, beaucoup de rappeurs des années 90 comme la NWA, Mob Deep,le Wu-Tang Clan ou Tupac Shakur. Ce sont donc ces années 90 qui ont vu naître le gangsta rap, l'âge d'or du rap fut rempli d'album de ce style aujourd'hui tant conspué. Seulement, ce gangsta rap old school était infiniement plus anti-conformiste que celui qui innonde actuellement internet. Le morceau "Fuck the Police" de 2pac est bien plus impressionnant et dérangeant qu'un "Gangsta" de Schoolboy Q. Là où School Boy se tape un énième égotrip en se présentant comme un gangster au-dessus des lois, Tupac nous fait une critique juste de la police extrèmement raciste et répressive de l'époque et nous montre à quel point il la défie. Ce titre n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de tous les rap anti-systèmes qui ont fait la décennie 90 mais souligne bien la différence d'attitude entre un rappeur qui veut certes faire du profit mais en profite pour dénoncer des choses, quand bien même ce serait des lieux communs, et un second qui se contente de faire fantasmer les adolescents sans réel fond. Encore une fois Tupac le faisait, tout comme la N.W.A, ce sont eux qui ont inventé cette mode, mais il y avait quelque chose derrière, ce qui manque aux rappeurs actuels. En clair, à l'origine, le rap n'a pas tout de suite voulu devenir la musique porte parole des ghettos. Cette envie ne s'est manifestée qu'au fur et mesure et n'a finalement même pas durée. Les nostalgiques regrettent donc un rap en réalité éphémère qui les a profondément marqué mais qui aujourd'hui n'existe quasiment plus.

En France on retrouve la même chose, lorsque le hip-hop arrive massivement dans les cités françaises, tous le monde a voulu faire du Public Ennemy. Joey Starr le dit lui-même, s'il a créé Nique Ta Mère avec Kool Shen c'était pour un "constat d'urgence", le groupe se voulait agressif pour faire comprendre aux gens le problème des cités. Forcément ça marque la jeunesse mais il ne faut pas oublier une chose, le rap s'est longtemps battu pour pouvoir devenir une musique. A l'époque seul Skyrock se risquait à en diffuser sur les ondes et faire du rap ne rapportait pas grand chose. Pour se pérenniser il a donc fallu accepter les lois du marché, adopter la formule qui se vendait le mieux pour être diffusé et aujourd'hui ce qui se vend le mieux ce sont les rappeurs aux allures de durs qui prennent de la drogue, sortent de grosses punchlines et mettent les femmes à genoux, le cliché du banlieusard mafieu qui a réussi pour adolescent. "Ils critiquent le capitalisme, on est les mêmes mais en pauvre", cette phrase du morceau "La ligne verte" du rappeur français underground Hugo TSR illustre de manière amusante ce fait, le rap  a réussi à devenir commercial. Cette musique rapporte enfin mais a perdu ses fans de l'époque en chemin. Elle a été contestatrice mais ne veut plus l'être, en effet le public a changé. Tous les discours ont fini par se ressembler et n'intéresse plus grand monde, débiter sans cesse les mêmes attaques sans que jamais rien ne change a peut-être fini par le fatiguer.

Finalement  malgré une image de musique anti-conformiste, le rap est très clairement rentré dans le rang, que se soit aux Etats-Unis ou en France. Cette musique a suivi la même évolution que le rock qui revendiquait tant et qui aujourd'hui n'est bon qu'à vendre. Pour retrouver un peu d'Iam ou de Notourious Big il faut donc regarder dans l'underground. Malheureusement, la nouvelle génération qui pousse semble aller dans la même direction, du rap hardcore gangsta, du rap appréciable mais pas celui que beaucoup regrette : XVBARBAR PSO THUGNekfeuSadekGeorgioVald, Davodka.

Sources:

 Genius.com, surunsonrap.hypotheses.com, infodisc.fr, rap2france.com, dawgz.fr, vice.com